L’adversaire d’Emmanuel Carrère

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Cette semaine, j’ai lu L’Adversaire d’Emmanuel Carrère. Ce livre vient étoffer la liste des romans en lien avec le monde de la Justice dont j’aime vous parler sur ce blog. 

Deux premiers paragraphes qui donnent le ton…

Le tout début du roman donne le ton du reste de ce récit difficile, parfois à la limite de l’insoutenable : 

“Le matin du samedi 9 janvier 1993, pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants, j’assistais avec les miens à une réunion pédagogique à l’école de Gabriel, notre fils aîné. Il avait cinq ans, l’âge d’Antoine Romand. Nous sommes allés ensuite déjeuner chez mes parents, et Romand chez les siens, qu’il a tués après le repas. 

J’ai passé seul dans mon studio l’après midi du samedi et le dimanche habituellement consacrés à la vie commune car je terminais un livre sur lequel je travaillais depuis un an : la biographie du romancier de science fiction, Philip K Dick. Le dernier chapitre racontait les journées qui ont passées dans le coma avant de mourir. J’ai fini le mardi soir et le mercredi matin,  lu le premier article de Libération sur l’affaire Romand. “

La genèse du projet

Emmanuel Carrère est profondément marqué par ce fait divers. Il décide alors de mener un projet autour de cette affaire. 

Le 30 août 1993, il entreprend des démarches pour entrer en contact avec Jean-Claude Romand. 

Il lui écrira ceci : 

“Depuis que j’ai appris pas les journaux la tragédie dont vous avez été l’agent et le seul survivant j’en suis hanté. Je voudrais, autant qu’il soit possible, essayer de comprendre ce qui s’est passé et en faire un livre , qui bien sûr, ne pourrait paraître qu’après votre procès. 

Je ne viens pas poussé par une curiosité malsaine ou un goût du sensationnel. Ce que vous avez fait n’est pas à mes yeux le fait d’un criminel ordinaire, ni celui d’un fou non plus , mais celui d’un homme poussé à bout par des forces qui le dépassent , et ce sont ces forces terribles que je voudrais montrer à l’œuvre.”

A ce moment-là, l’écrivain était loin de se douter que l’écriture de ce livre allait prendre une place aussi  importante dans sa vie. 

C’est seulement le 10 septembre 1995, que ce projet prend un nouveau tournant : 

Contre toute attente, Jean-Claude Romand va répondre à la sollicitation d’Emmanuel Carrère. 

Il explique avoir attendu la fin de l’instruction ( à la demande de son Avocat) avant de donner suite à la lettre envoyée en 93. . 

 Il conclura par ces mots : 

“ Si vous êtes toujours intéressé de me rencontrer dans une volonté commune de compréhension de cette tragédie qui reste pour moi une réalité quotidienne, il faudra m’adresser une demande de permis de visite ( …). 

Également Journaliste, Emmanuel Carrère se fait accréditer et assiste au procès. 

Un récit de la vie de Jean-Claude Romand

Pendant un procès, c’est la vie entière de l’accusé qui est passée au crible. 

En se basant sur les informations recueillies à la Cour d’Assises, Emmanuel Carrère nous relate ce qu’a été la vie de Jean-Claude Romand. 

On prend donc connaissance de son parcours, de plus tendre enfance jusqu’au moment des multiples meurtres commis à l’âge de 39 ans. 

On découvre comment cet homme a menti à tous ceux qu’il aimait en prétendant être médecin alors qu’il n’en était rien. 

Tous les jours, il part travailler à l’OMS, il donne le change à ses amis et sa famille. C’est un époux et un père modèle. Il est respecté. C’est un homme charismatique qui inspire profondément confiance à son entourage. 

Il reste humble et met un point d’honneur à vivre raisonnablement, parfois en dessous de ses moyens et des possibilités que pourrait lui offrir sa vie de médecin chercheur. 

Cela étonne un peu son entourage mais sans plus. 

Jean-Claude Romand élude, et pour cause : il n’a pas un sous. 

La journée, il s’isole pour lire les journaux ou des revues médicales. Il accumule les connaissances comme il l’a fait durant son cursus de médecine. Il l’a suivi entièrement. Sauf qu’à la différence de ses confrères il a fui. Il n’a jamais passé ses examens. 

Dans le cadre de sa vie professionnelle fictive, il part souvent en voyage d’affaires. Il se rend donc à l’aéroport avec un guide de voyage, potasse le tout, et achète quelques souvenirs pour ses enfants.

Pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses proches, il détourne de coquettes sommes confiées en gestion par différents membres de sa famille. 

Il vivra de la sorte pendant 15 ans. Jusqu’à ce jour de janvier 1993. 

Petit à petit, sa couverture s’effrite. 

Dans une solitude profonde. Enfermé dans la spirale du mensonge, acculé, il n’a plus le choix. 

Le regard de ceux qui l’aime profondément est insupportable pour lui. 

Il préférera liquider la totalité de sa famille et tenter de mettre fin à ses jours. 

Mon avis sur ce livre

Attention, Il n’est pas à mettre entre toutes les mains. Il est parfois très dur. 

Je l’ai trouvé intéressant car il remet l’humain au centre. Ce n’est pas, à proprement parler, un récit de procès et c’est ce qui fait sa force. 

Ce livre est réussi car il  est conforme au projet que voulait réaliser son auteur : il n’est pas dans le jugement. Il ne cherche ni à jeter la pierre, ni à excuser les actes commis. Avant tout, il cherche  à comprendre : 

  • Le parcours d’un homme croyant qui porte un amour sincère à sa femme, des parents et ses enfants. Mais qui sera néanmoins capable de les abattre à bout touchant. 
  • Comment Jean Claude Romand a pu conserver cette double vie pendant tant d’années sans que personne ne perce son secret ? 
  • Comment un homme peut t’-il s’enfermer à ce point dans une vie de solitude et de  mensonge ? 
  • Comment peut-on basculer à ce point dans une terreur de faire face à ceux que l’on aime au point de préférer les supprimer plutôt que d’affronter la réalité et prendre ses responsabilités? 

A l’issue du procès, Jean-Claude Romand est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. 

Après 26 années de détention, il est désormais en  liberté conditionnelle et vit dans une Abbaye. Il y travaille et participe pleinement à la vie monastique. 

On peut bien sûr douter de la sincérité de la démarche de Romand  dont la vie a été marquée par le mensonge. 

Mais nul ne peut juger le cœur d’un Homme…

Ce livre est pour toi si :

  • Tu te questionnes sur la psychologie humaine 
  • Tu es intéressé(e) par les grandes affaires judiciaires 
  • Tu cherches un récit bien écrit et déstabilisant

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Dans le même style, je t’invite aussi à découvrir Les Choses Humaines de Karine Tuil. 

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