Dessine-moi un contrat !

18 ans…

…ça y est!

Enfin majeur(e)!

Et capable de capter toutes les implications d’un contrat dans le but de t’engager en toute conscience. 

Maintenant. Et pour toute ta vie.

Mais est-ce vraiment le cas?  

***

Comme tout peut arriver, la Loi va offrir une protection à des individus considérés comme juridiquement incapables.

Il s’agit de personnes qui se trouvent dans l’impossibilité de :

  • Mettre en oeuvre leurs droits
  • Sauvegarder seules leurs intérêts

L’incapacité peut être liée à leur âge ou à divers troubles mentaux ( mineurs, ou aux majeurs sous tutelle par exemple).

La loi protège aussi le consentement d’une personne donné :

  • sous le coup de la violence : Il m’a mis un flingue sur la tempe en me tendant le contrat d’assurance décès. J’ai pensé qu’il était préférable de signer à son bénéfice .
  • sous le coup de la tromperie ou de la manipulation : Il m’a dit que c’était un service à thé de l’ère Meiji, certificat à l’appui. C‘était celui de sa grand mère. J’ai payé 10 fois son prix. D’ailleurs, je vous laisse, c’est mon banquier.
  • Sous le coup de l’erreur : Je pense acquérir l’appartement de mon pote Pierre alors qu’il souhaite seulement me le louer.

Mais la Loi ne protège pas vraiment des conséquences que peut avoir :

  • Une signature à la va vite après une lecture en diagonale d’un contrat
  • Une signature apposée dans un état de stress suite à une épreuve de vie compliquée à traverser

Dans ces situations tu ne peux t’en prendre qu’a toi même.

Et qu’en est-il des personnes qui (sans être juridiquement incapables) restent vulnérables, diminuées par l’âge?

Ou des personnes qui ne maîtrisent pas bien la langue du pays dans lequel elles résident? 

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Les Comic Contracts : La genèse

Afin de rendre l’application du droit plus efficace, il est important de permettre à chacun :

  • De le comprendre
  • D’y avoir accès facilement. 

Ce sont les bases du Legal Design, notion que nous avons déjà définie sur ce blog.

De prime abord, cela peut paraître complexe mais détrompe toi ! 

De nombreuses initiatives efficaces voient le jour afin de rendre le droit plus accessible.

La création des BD-contrats ( ou Comic Contracts en anglais ) est l’une d’entre elles. 

Les juristes australiens, pionniers en manière de Comic Contracts

Les recherches et expérimentations dans ce domaine ont commencé presque simultanément, en Australie et en Afrique du Sud. 

Le monde universitaire et les praticiens du droit ont avancé main dans la main (c’est assez rare!) afin de dessiner ensemble ce qui pourrait bien être l’avenir du Droit des contrats.

En Australie, c’est l’universitaire Camilla Baasch Andersen qui a expérimenté pour la première fois le concept de Comic Contract.

En 2016, un groupe d’étudiants ingénieurs vient la voir. Ils sont tous membres de l’UWA.

Il s’agit d’une structure permettant aux étudiants de cette Université australienne de donner une dimension pratique à leurs études. Ils réalisant des recherches expérimentales dans des domaines divers essentiellement scientifiques.

En faisant appel à une Juriste reconnue, les étudiants souhaitaient obtenir de l’aide pour mieux comprendre leurs droits et obligations en tant que membre de l’UWA. 

Dans le cadre de ce travail, Camilla se rend compte des difficultés que les étudiants peuvent avoir à comprendre le jargon juridique. 

Avec l’aide d’un collègue, elle commence alors à élaborer un document imagé et simple afin de retranscrire les aspects parfois complexes (notamment relatifs à la confidentialité) applicables aux étudiants. 

Devant l’enthousiasme des principaux concernés, elle va ensuite poursuivre ses recherches.  

Les avocats sud-africains à fond dans le projet

Le concept de Comic Contracts a  ensuite attiré l’attention dans le monde entier. 

En Afrique du Sud, c’est Robert de Rooy, Avocat en droit des Affaires à Cape Town qui a apporté sa contribution.  

Vivant dans l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde, il veut réduire, à l’aide du dessin, le fossé existant au sein de la population de son pays (et ailleurs dans le monde, tant qu’a faire! ).

Mais alors …

Pourquoi utiliser la communication visuelle pour simplifier les contrats ?

Nous vivons dans un monde composé d’individus ayant des niveaux d’alphabétisation différents. Mais ce que nous avons en commun, c’est que nous sommes tous capables de comprendre une image. 

La communication visuelle a la capacité de communiquer facilement à tous les niveaux d’alphabétisation.

Le cerveau analyse beaucoup plus efficacement les images que les mots.

Selon Rob Dimeo, Directeur du Centre national de recherche sur le neutron aux Etats Unis, le dessin permet de : 

  • De se créer des images mentales 
  • De stimuler la mémoire sémantique 
  • D’impliquer plus particulièrement le geste et la motricité

La capacité de coder une information de manière visuelle et verbale à la fois accroît la possibilité de s’en souvenir.

Allan Paivio, de l’Université de Western Ontario, a conceptualisé cette théorie du double codage à partir de 1971. Elle a été vérifiée à de nombreuses reprises par la suite. 

Les Comic Contracts sont des documents qui mixent généralement l’écrit et le dessin.

Les parties sont représentées par des personnages.

L’accord est capturé en images et les parties signent la bande dessinée en tant que Contrat. 

Ce concept illustre donc parfaitement principe de double codification de l’information!

Les contrats , actes essentiels mais complexes

Nous vivons dans une économie de marché et nous signons constamment des contrats ( pour avoir un logement, un travail, une assurance, un compte bancaire, un prêt…).

Parfois même, sans nous en rendre compte!

Comme ont pu le dire Bengt Holmström et Olivier Hart , tous deux Prix nobel d’économie en 2016,

« Les contrats sont essentiels au fonctionnement des sociétés modernes ».

Paradoxalement, ils sont rarement lus de bout en bout. Ils sont très souvent considérés comme des documents inaccessibles et complexes que seuls les professionnels du droit peuvent déchiffrer et comprendre. 

C’est un peu caricatural mais ce n’est pas complètement faux. Il est difficile de lire et comprendre un contrat pour des non juristes. Quand on y pense, c’est un non sens , puisque c’est très souvent eux qui vont devoir les appliquer au quotidien. 

Cette difficulté se trouve renforcée lorsqu’on ne maîtrise pas ou peu la langue du pays dans lequel on se trouve.

Finalement, les contrats ont pour vocation de protéger les personnes vulnérables, mais beaucoup ne peuvent pas comprendre ce qu’ils signent.

Un décalage profond peut se créer entre les parties.

Cela peut être vecteur d’abus de pouvoir, de sentiments de frustration, d’exclusion, de honte ou d’inconfort.

Dans ces conditions, le contrat ne peux plus s’appliquer de manière sereine.

Des conflits peuvent apparaître entre les parties qui ne se trouvent pas sur un même pied d’égalité.

il devient alors urgent de réfléchir à une nouvelle manière de communiquer sur les clauses contractuelles.

Robert de Rooy – exemple de clause contractuelle simplifiée

Après avoir constaté à quel point les ouvriers agricoles de son pays étaient frustrés par par leurs contrats de travail, Robert de Rooy, a essayé de les rendre plus faciles à comprendre. 

Il ne s’est pas arrêté aux contrats de travail et développe maintenant de nombreux actes juridiques au sein de sa Société Creative Contracts ( Accords de confidentialité ou contrats de fourniture de services financiers). 

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Cependant, plusieurs questions peuvent se poser:

  • Est-il vraiment possible de tout exprimer par le dessin?
  • Un contrat sous cette forme peut il être considéré comme juridiquement contraignant?

Sur la première question, cela dépend du type de contrat mais cela me parait délicat.

Certaines notions juridiques sont complexes et techniques. Se passer d’une structure écrite peut donner lieu à des incompréhensions et être facteur de risques.

Opter pour une formulation plus simple et une disposition différentes peut fonctionner aussi.

Sans se passer du texte, il peut être intéressant de :

  • Prévoir des annexes sous forme de dessins
  • Prévoir quelques dessins et tableaux dans le contrat quand cela s’y prête

Sur le caractère contraignant du Comic Contract cela ne semble pas poser trop problème aux juges australiens : ils ont déjà eu l’occasion de se prononcer positivement.

En droit français, le contrat se forme en principe par la rencontre entre deux volontés (au minimum) matérialisée ( ou non) par un contrat.

La forme est donc peu importante. Cependant, ce type de contrats est très récent et nous ne disposons pas de beaucoup de recul. Il est donc difficile de se prononcer sur la question.

Des planches exposées à la Cour suprême

Ces travaux novateurs sont pris très au sérieux en Australie. 

Les planches conçues par de Rooy ont pu être exposées en 2021 au sein du Sir Harry Gibbs Legal Heritage Center.

Ce centre dépend de la  Cour suprême du Queensland ( Etat situé au nord-est de l’Australie , dont Brisbane est la capitale). 

En tant que seul musée d’histoire juridique dédié à l’État, il offre des ressources aux visiteurs des tribunaux et aux professionnels du droit pour explorer le passé juridique du Queensland.

L’exposition ” Graphic justice: pictures worth 1000 words”  a pu explorer :

  • Comment les praticiens du droit commencent à appliquer les principes de « justice graphique »
  • Des exemples concrets en matière civile et pénale

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 L’innovation dans le domaine juridique est plus que jamais nécessaire aujourd’hui.

En France , ces sujets commencent à émerger.  L’association Open Law fait un travail remarqué en la matière .

L’innovation  juridique en cabinet d’avocats ou en entreprise est de plus en plus encouragée et valorisée! 

Ce n’est que le début!

Sources

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