” Oui, c’est vrai, traiter la question du racisme n’est pas chose aisée et oui, nous trébuchons sur les mots – mais nous qui sommes blancs, avons le pouvoir d’initier le débat au sein de notre communauté. Ce n’est que comme ça que nous sensibiliserons un nombre croissant de personnes et que les langues se délieront”
Jodi Picoult
Aujourd’hui j’aimerais vous parler d’un coup de cœur littéraire, Mille petits riens de Jodi Picoult. C’est une petite brique de 660 pages environ (en poche) mais pas d’inquiétude, il se lit très bien!

Dans ce livre à trois voix, on suit d’abord Ruth, une sage femme depuis plus de vingt ans. C’est une employée modèle, appréciée de tous, qui aime profondément son métier. Elle a tout donné pour en arriver là. Elle élève seule Edison son fils de dix-huit ans depuis que son mari militaire est décédé en Afghanistan.
Un jour, Turk et Brittany, un jeune couple de suprémacistes blancs arrivent à la maternité pour la naissance de leur premier enfant, Davis.
De service ce jour la, Ruth, prend en charge le couple comme à son habitude. Lorsque Turk découvre que l’infirmière qui va encadrer l’accouchement de sa femme est noire, il demande à ce qu’elle soit écartée au profit d’une de ses collègues. Au grand désespoir de Ruth, sa cheffe de service accède à la requête du futur papa.
L’accouchement se déroule parfaitement mais quelques heures plus tard, l’état de santé du bébé se dégrade. Il est placé sous surveillance. Par un malheureux concours de circonstances, Ruth, qui passait par là, va se retrouver seule en compagnie de Davis, dont les battements de cœur faiblissent soudainement.
Elle a toujours interdiction de toucher le nouveau né. Pourtant, si elle ne fait rien, il va mourir. Face à ce dilemme, Ruth doit prendre une décision.
Elle décide alors de tout faire pour sauver l’enfant en lui prodiguant un massage cardiaque mais cela ne suffira pas. Un peu alerté par l’agitation qui commence à régner dans le service, le père de Davis accourt. Il s’arrête net en voyant les doigts de Ruth posé sur le petit corps sans vie de son fils.
Accusée d’avoir tué le bébé, Ruth voit sa vie basculer. Du jour au lendemain, la machine judiciaire se met en marche…
C’est la que Kennedy va entrer dans la vie de Ruth et y jouer un rôle capital.
J’ai énormément aimé ce livre pour plusieurs raisons :
- On suit toute la procédure pénale sous plusieurs perspectives ( l’accusée Ruth, la victime Turk et Kennedy qui défend les intérêts de Ruth). Cela fait de Mille petits riens un roman extrêmement juste et dynamique ou chacun défend une lecture qui lui est propre des faits tragiques qui se sont déroulés. A chacun sa vérité.
- L’auteur prend vraiment le temps de développer ses personnages qu’on apprend à connaitre tout au long du récit.
- On aborde le rôle et l’influence que peuvent avoir les médias sur une affaire en cours
- On voit comment une procédure peut profondément impacter ( psychologiquement notamment) l’entourage des principaux protagonistes de l’affaire
- C’est une histoire inspirée de faits réels
- C’est un roman abouti et richement documenté qui aborde de grands sujets de Société
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Ce roman permet aussi d’appréhender un peu mieux le système judiciaire américain.
Dans un premier temps, pour disposer d’un aperçu global du fonctionnement du système judiciaire américain et de la répartition des compétences entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés, je vous propose de visionner le travail d’ABC Juris. Restez jusqu’à la fin de la vidéo pour savoir comment booster votre anglais juridique! 😉
Me concernant, je n’étais pas du tout au fait du déroulement de la procédure pénale aux Etats Unis avant de lire ce roman. Avec le recul, j’aurais été heureuse de disposer de petites notions sur le sujet avant de commencer ma lecture. Cela m’aurait permis de mieux me repérer dans la chronologie des évènements.
Je ne me serais pas forcément lancée de moi même dans des recherches sur le système judiciaire américain sans ce livre. C’est une manière différente d’aborder le droit que j’apprécie beaucoup. Je pense que cette manière indirecte d’apprendre “l’air de rien” , est plutôt efficace et gagne à être développée au quotidien.
J’ai donc réalisé quelques recherches que je vais vous partager dans cet article. Cela dit, si vous êtes expert en matière de droit pénal américain, vos commentaires sont les bienvenus! 😊
Focus sur deux acteurs importants de la procédure pénale
Aux Etats Unis, le droit pénal se fait au nom de l’Etat. Le procès va mettre aux prises l’Etat à un individu personne privée. Dans notre cas il s’agit de Ruth qui se retrouve du jour au lendemain accusée du meurtre du petit Davis.
Celui qui va poursuivre l’action est le Ministère Public par l’intermédiaire du Procureur.
Le Procureur est donc chargé d’engager les poursuites et d’établir le dossier d’accusation. Il a une liberté quasi absolue. Quand il décide de poursuivre, il détermine seul les chefs d’accusation et les faits qu’il entend retenir. Lorsque les poursuites sont lancées, le Procureur peut aussi les abandonner ou les suspendre.
En face, il y a un Avocat de la défense qui va défendre l’individu accusé d’avoir commis un crime. Aux Etats Unis, certains avocats indépendants se spécialisent dans la défense au pénal. Si le cinéma et la télévision font souvent évoluer des avocats dans un décor de rêve, en réalité les avocats pénalistes travaillent beaucoup pour de faibles honoraires et un statut peu prestigieux. C’est exactement le cas de Kennedy, qui va tout donner pour faire valoir les intérêts de Ruth, accusée injustement.
C’est une affaire qui fait grand bruit en lien direct avec une question raciale. La tache est complexe. Kennedy nous confie d’ailleurs au cours du roman que selon elle, “il y a deux catégories de personnes chez les Avocats de la Défense publiques : ceux qui croient pouvoir sauver le monde et ceux qui savent bien que c’est impossible. Les premiers sont les jeunes diplômés qui débarquent avec des étoiles plein les yeux, persuadés qu’ils pourront faire bouger les choses. Les autres c’est nous, c’est à dire tous ceux qui, s’étant frottés au système ont compris que les problèmes les dépassaient largement et dépassaient aussi les client qu’ils représentent.”
Le déroulement de la procédure pénale
Tout commence toujours par l’enquête :
Sous la direction du Procureur, les policiers vont rechercher des indices dans le but d’élucider le meurtre. Un suspect pourra alors être arrêté.
Lors de la comparution initiale, le Juge va se prononcer sur le maintient en liberté ou non du suspect appréhendé. Pour cela, la police va détailler au Juge tous les éléments à charge et pourront fixer le montant d’une caution.
Pendant ce temps l’enquête se poursuit et se clôturera par une audience préliminaire devant le Juge.
Lors de cette audience, le Procureur et un panel de jurés ( = le Grand Jury) vérifient les charges pour savoir si on dispose bien d’éléments concrets qui justifient la poursuite de la procédure engagée.
Les faits sont qualifiés et le juge pose la question au suspect pour savoir s’il souhaite plaider coupable ou non coupable.
S’il plaide coupable, le juge doit alors déclarer la culpabilité et fixer la peine. S’il plaide non coupable la procédure se poursuit par une seconde audience qui correspond au procès à proprement parlé.
Aux Etats Unis, il appartient au Ministère public de prouver la culpabilité du suspect par la production de diverses pièces ou encore par l’interrogatoire de témoins et d’experts. C’est un Avocat employé par le Bureau du Procureur qui devra plaider l’affaire à égalité avec l’avocat de la défense. Le juge n’intervient que pour sanctionner les abus d’interrogatoires ou autres digressions susceptibles d’influencer le jury au détriment de la présomption d’innocence, et pour traiter les incidents.
Si l’accusé choisit de ne pas être jugé par un magistrat seul, son sort sera décidé par un jury. Au niveau fédéral, pour qu’il soit condamné, il faut que douze personnes rendent un verdict unanime. Au niveau des Etats, ce critère ne s’applique qu’aux crimes les plus graves. Dans nombre d’Etats, le jury peut compter moins de douze personnes et rendre son verdict à la majorité.
Le Jury va se prononcer sur la culpabilité ou non du suspect sachant que le doute profite à l’accusé Le Juge aiguille les réflexions des Jurés. Si le suspect est déclaré coupable, c’est le Juge qui fixera la peine.
Le choix des jurés
Dans Mille petits riens, j’ai été particulièrement intéressée par la procédure de sélection des jurés qui fait l’objet d’un long travail d’enquête et d’analyse de la part de Kennedy et du jeune avocat qu’elle a choisi pour l’assister.
Dans ce cadre, un groupe de jurés potentiels est appelé à se présenter au tribunal. En audience publique, on leur pose des questions sur leurs qualifications pour être membres du jury au cours d’une procédure spécifique. Le Procureur et l’Avocat de la défense posent des questions aux jurés potentiels.
- Le premier objectif de cette procédure est d’éliminer tous les jurés potentiels ayant une raison évidente de ne pas rendre un jugement impartial dans l’affaire qui les intéresse. C’est le juge qui décide si elle est valable.
- Le second objectif de l’avocat de la défense publique ( dans notre cas, Kennedy, l’Avocate de Ruth) et du Procureur quand ils interrogent les jurés potentiels est d’éliminer ceux dont ils pensent qu’ils risquent d’être hostiles à leur cause même si aucune raison apparente ne prouve leur parti pris.
Chacune des parties a droit à un certain nombre de récusations non motivées. L’utilisation de ces récusations dépend finalement beaucoup de l’intuition des avocats.
L’action civile
La victime d’une infraction ne peut elle-même déclencher les poursuites, ni intervenir lorsque l’action a déjà été engagée par le ministère public. Elle n’est pas partie à la procédure pénale. Elle peut cependant engager une action en responsabilité civile personnelle et séparée.
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Les questionnements de l’auteure dans le cadre du travail d’écriture de ce roman
Dans un postface très instructif l’auteure nous explique avoir été marquée par un fait divers à New York : Un policier en civil noir avait été abattu par ses collègues blancs qui lui avaient tirés dans le dos à plusieurs reprises alors même que celui ci portait un brassard permettant à ses collègues en uniforme de bien le distinguer des forces de l’ordre en civil.
C’est suite à ce fait divers qu’elle a eu l’idée d’écrire sur le thème du racisme aux Etats-Unis. Ce n’est pas un sujet évident à aborder et l’auteure nous explique avec sincérité avoir fait face à des blocages lors du processus d’écriture de ce livre. Elle avait l’impression de ne pas arriver à prendre le bon angle d’attaque. En tant que femme blanche, elle ne se sentait pas légitime pour écrire de la perspective d’une personne noire. C’est la raison pour laquelle elle s’est énormément documentée et investie en allant par exemple à la rencontre de skinheads repentis.

Dans le cadre de ses recherches elle a pu demander à un groupe de femmes blanches si elles avaient évoqué le racisme avec leurs enfants Quelques unes ont répondu, de temps en temps et d’autres ont reconnu ne jamais en parler. Par contre toutes les femmes noires interrogées ont répondu en parler quotidiennement avec eux.
Si vous ne savez pas comment aborder ce type de sujets de manière simple avec vos enfants, je vous conseille de vous procurer l’album intitulé “Comme un million de papillons noirs” de Laura Nsafou et Barbara Brun.
Le titre de ce livre est tiré de Délivrances, de l’auteure américaine Toni Morrison, qui pour décrire une jeune femme à la peau noir bleuté a cette formule : « Ses habits étaient blancs et ses cheveux, semblables à un million de papillons noirs. »
L’héroïne de cet album pour enfants c’est Adé, une petite fille noire qui adore poser des questions. Suite à des moqueries de ses camarades, elle souhaite défaire ses nattes et rêve de remplacer ses cheveux crépus par des cheveux lisses. Le soir, elle en parle à sa mère, qui va l’aider à aimer, à assumer et à prendre soin de ses si jolis cheveux. Imaginé pour donner confiance aux enfants noirs ce livre parle à tout le monde et porte un message universel sur la nécessité de s’accepter comme on est : à découvrir au plus vite ! 😀
Jodi Picoult nous fait part ensuite de la difficulté de trouver un titre à ce roman. En anglais le livre s’appelle Small Great Things qui est une référence à une citation fréquemment attribuée à Martin Luther King : “If I cannot do great things, I can do small things in a great way” – ” si vous ne pouvez pas faire de grandes choses faites de petites choses de manière grandiose” – Elle a choisi ce titre car “c’est a travers les petites choses du quotidien que le racisme est à la fois perpétué et partiellement démantelé”. C’était également l’occasion pour l’auteur d’amener les lecteurs à s’intéresser à Martin Luther King.
On apprend aussi que ce projet a été à l’origine de changements profonds chez l’auteure. Elle affirme par exemple : “Aux Etats Unis, nous croyons volontiers que notre réussite réside dans notre travail acharné et notre intelligence. Accepter que le racisme a joué un rôle dans notre ascension sociale revient à admettre que le rêve américain n’est pas si accessible que ça, en tout cas pas pour tous”.
Elle termine avec ces mots : “Aux noirs qui liront mille petits rien, j’aimerais leur dire que j’espère avoir été suffisamment attentive aux membres de votre communauté qui m’ont ouvert leur cœur afin que je puisse transmettre vos expérience de vie le plus fidèlement possible- aux blancs : n’oubliez pas que nous sommes un chantier en cours , personnellement je ne détiens aucune réponse et je progresse tous les jours.”
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Voila, c’est tout pour moi! J’espère sincèrement vous avoir donné envie de lire ce livre qui fût une lecture profondément marquante !
Mes sources et si vous souhaitez aller plus loin :
Le Droit Pénal Américain : Le droit pénal américain – Cours (cours-de-droit.net)
Esquisse du système judiciaire américain ( page 107 et suivantes pour ce qui concerne le choix des jurés) disponible ici : https://fr.usembassy.gov/wp-content/uploads/sites/50/2017/06/pub_esquisse_systeme_judiciaire.pdf
Note de synthèse : Les caractéristiques du procès pénal, disponible sous ce lien : https://www.senat.fr/lc/lc25/lc25_mono.html